Quand Sade rêve de Saumane…

Cet été paraissait “Sade et ses femmes, correspondance et journal”, un livre de Marie-Paule Farina, dont nous avons longuement parlé pour le regard novateur qu’il pose sur le divin Marquis. Pour son auteure, SADE est un romancier dont l’imaginaire exacerbé par l’incarcération puisait, entre autre, dans les souvenirs de son enfance provençale.  Dans le chapitre, intitulé “Qui n’a rêvé des châteaux de Sade”, Marie-Paule Farina attire l’attention des lecteurs sur ces châteaux de Provence qui ont influencé le divin Marquis : “Pas de SADE sans son château, son château d’enfance Saumane, son château d’adulte Lacoste”.

 

Nous avons demandé à Fabien, si dans la vie du Marquis, la dichotomie entre Lacoste et Saumane est aussi évidente que le suggère Marie Paule Farina ?

Je dois vous avouer que je n’ai pas lu le livre de Marie-Paule Farina. Je ne me permettrai donc pas d’apporter une quelconque critique. Ce qui est certain c’est que  Lacoste est la plus populaire des résidences provençale du Marquis de Sade.

D’après les biographies que j’ai pu lire, il y a vécu tout au plus cinq ans. Soit autant qu’à Saumane. Toutefois, il est vrai qu’il a entrepris à Lacoste de coûteux travaux de réparation et d’aménagement pour s’y installer avec sa famille. Sans vouloir faire naître la moindre concurrence entre Lacoste et Saumane, il est à noter qu’il lui était impossible de réaliser les mêmes travaux à Saumane. A cette époque, son oncle l’Abbé, est toujours l’occupant des lieux. Le château appartient alors au père du futur Marquis. Donatien héritera de Saumane et de la rente de son oncle, celui-ci louait déjà le domaine à son frère, en 1731.

Sade Saumane - crédit : Charlotte Huon de Kermadec

© Charlotte Huon de Kermadec

A ce sujet, l’Abbé lui même s’est engagé dans des travaux d’embellissement à Saumane.

C’est exact. Comme ses prédécesseurs, l’Abbé de Sade entreprend de moderniser ce château à la décoration devenue désuète. J’en veux pour preuve cet extrait de la lettre d’un ami à Jacques-François-Paul Aldonce de Sade, abbé d’Ébreuil :

« […] Vous voilà tout à fait déterminé à rester à Saumane. Il faut convenir que c’est un beau lieu. Je voudrais bien voir tout ce que vous y avez fait d’embellissements. Je ne suis point étonné des choses que vous y avez enfantées. Je ne crois pas pouvoir vous allez joindre après Pâques pour les aller admirer. […] ».

L’étude documentaire et historique réalisée par le bureau d’étude GRAHAL relève également des mentions de travaux de décors :

de bonnes peintures de l’époque décorent diverses pièces du premier étage, elles sont dans le genre Watteau .”

On y apprend aussi des travaux d’élargissement des accès pour faciliter l’accueil des véhicules modernes. Nous n’avons pas un inventaire précis des travaux commandités par l’Abbé. Il semble que la réalisation qui lui tenait le plus à coeur fût les jardins :

“[…] M. l’abbé de Sade a fait beaucoup d’embellissements à ce château, il a aplani le terrain et fait des jardins dans lesquels il a fait creuser des réservoirs très vastes. On récolte à Saumane d’excellents fruits à noyaux, de l’huile très bonne et des navets qui sont les meilleurs du Comtat. […]”.

J’ai choisi cet extrait parce qu’il montre l’importance économique de Saumane. La seigneurie des Sade, fut de tous temps une source de revenu pour cette famille. L’Abbé faisait même commerce à Paris d’huile d’olive ou de  truffes.

On retrouve cette caractéristique économique dans une lettre très émouvante du Marquis, en 1795, dans laquelle après avoir confié son amour pour Saumane, il poursuit en s’inquiétant de l’avancement d’une coupe de bois dont il attend les revenus pour acquitter ses dettes. Quand on sait à quel point Sade était dispendieux, il est certain que Saumane devait être cher à son coeur.

Il est communément admis que le château de Saumane est entré dans le patrimoine de la famille de Sade en 1451. En réalité depuis au moins 1290, génération après génération, les aïeux du Marquis ont  acheté des terres (vignes, vergers, maraîchage, bois) ainsi que des moulins (huile et céréales) sur ce territoire. Je ne connais pas l’état de leurs possessions à Lacoste ou Mazan. Mais il est certain que Saumane constituait un domaine agricole de premier ordre.

Sade Saumane escalier - Crédit Charlotte Huon de Kermadec

© Charlotte Huon de Kermadec

Vous nous dites que la famille de Sade possédait des terres à Saumane pendant presque 600 ans ! C’est une découverte ?

A ma connaissance oui. En tout cas c’est une révélation. Je garde un souvenir précis et ému du moment ou j’ai lu cette mention. D’autant que le document que j’avais dans les mains était un original de l’abbé de Sade, annoté par le Marquis. C’est un document d’une extrême richesse pour l’histoire du château, qui nous a été prêté par la famille de Sade. Les visiteurs pourront l’admirer lors de l’ouverture exceptionnelle du château.

Ces feuillets, apportent un nouvel élément pour définir les liens qui unissent le Marquis à Saumane. Après les souvenirs d’enfance et la manne financière, on y apprend comment Saumane porte tout le poids de l’héritage du Marquis de Sade. Il ne pouvait ignorer cet héritage . Le blason de la famille, incrusté dans la pierre du château, le lui rappelait chaque jour. Sans compter que l’Abbé était l’historien de la famille. Le jeune Donatien a dû être exposé, si ce n’est instruit, par son précepteur à l’histoire de cette lignée multiséculaire. Le Divin Marquis, pour le moins réticent au conformisme, n’est pas moins conscient de la fortune et du poids que lui confère cet héritage. Il s’y réfère même dans “Aline et Valcour”, qui s’apparente à une autobiographie :

« Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; {…} ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. »

(Aline et Valcour, dans « la Pléiade », t. I, p. 403)

tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc 

pouvait avoir de plus distingué”

 

Reprenons là, la vie de l’Abbé à Saumane pour comprendre l’attachement du Marquis à son héritage Provençal.

Malgré les travaux entrepris par l’Abbé, le château de Saumane est une bâtisse d’un autre temps qui demeure inconfortable. Il déménage son logement dans une ferme attenante au domaine et fait du château ce que l’on appellerait aujourd’hui son bureau. J’imagine qu’il a tenté de reproduire ici, l’ambiance des salons qu’il fréquentait autrefois à Paris, avant son exil volontaire en Provence. De nombreuses descriptions font état d’un cabinet de curiosité, d’une riche collection de médailles et   d’une bibliothèque  qui comptait plus de huit cent volumes en tous genres.

Une bibliothèque à laquelle le Marquis apporte une  grande attention. A la mort de l’Abbé il recommande à Maître Gaufridy de veiller à ce qu’elle soit expressément rapatriée à Lacoste. Est-ce par amour de la lecture ? Certainement, elle était composée d’oeuvres éclectiques y compris des récits libertins.

Mais elle recelait avant tout l’héritage du Marquis. L’oeuvre majeure de son oncle “Mémoire pour la vie de François Pétrarque”, s’attache à prouver la filiation de Laure de Noves à la famille de Sade. Il prétend même que Laure habitait Saumane. Pour rédiger ces mémoires,  l’Abbé a réuni une riche documentation comprenant entre autre des études généalogiques et des titres de propriété prouvant la noblesse de ses ancêtres. Certains de ces documents étaient encore à Saumane jusqu’à la révolution. La note en page de garde d’un de ces recueils est explicite quand à la valeur de ce travail (illustration ci-contre). Elle démontre la parfaite connaissance par le marquis des travaux de l’Abbé et son attachement profond à la terre de Saumane.

Inventaire des papiers Sade Saumane

Je suis convaincu qu’il ne pouvait en être autrement. Saumane est le jardin secret du Marquis, la terre de ses racines. Voici comment à 55 ans, quelques mois après avoir échappé à la guillotine, il parle de Saumane à maître Gauffridy, ami d’enfance et régisseur de ses biens provençaux :

C’est à Saumane que je veux habiter ; je suis fou de Saumane, j’irai certainement, si je le puis, y finir mes jours. Ménagez-moi l’esprit des habitants dans cette vue.

Rappelons que vous pourrez découvrir ces documents inédits au château de Saumane le dernier week-end de novembre et le premier de décembre à l’occasion de son ouverture exceptionnelle après quatre années de travaux.

Retrouvez-nous prochainement avec Fabien pour de nouvelles révélations sur le Château de Saumane.

Contact : Fabien QUEZEL-PERRON
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Ou alors partez à la recherche de l’âme du Saumane...

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