Annie Le Brun, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet dont l’incontournable Soudain, un bloc d’abîme, Sade, se voit confier le commissariat général de l’exposition consacrée à Sade organisée par le musée d’Orsay à l’occasion du bicentenaire de la mort de l’écrivain. Le propos, tel qu’elle le définit elle-même, sera de « montrer comment, avant d’avoir une importance majeure dans la pensée du XXe siècle, l’œuvre de Sade a induit une part de la sensibilité du XIXe siècle, quand bien même le personnage et ses idées y auront-ils été tenus pour maudits.
Car si Baudelaire, Flaubert, Huysmans, Swinburne, Mirbeau… sans parler d’Apollinaire, s’y sont référés à titres divers, tout porte à croire que la force de cette pensée est d’avoir aussi rencontré, révélé, voire provoqué ce qui agite alors en profondeur l’expression plastique, concernant autant l’inscription du désir que son pouvoir de métamorphose.
C’est l’image du corps en train d’être bouleversée de l’intérieur, annonçant une révolution de la représentation. Que ce soit évident chez Delacroix, Moreau, Böcklin…, ce qui est en jeu n’est pas sans inquiéter aussi Ingres, Degas ou Cézanne et bien sûr Picasso. Et cela tandis que Félicien Rops, Odilon Redon, Alfred Kubin se rapprochant d’une expression restée jusqu’alors marginale (curiosa ou folie), avant que le surréalisme ne reconnaisse le désir comme grand inventeur de forme.
À retrouver ce cheminement, il sera possible de mesurer combien, à dire ce qu’on ne veut pas voir, Sade aura incité à montrer ce qu’on ne peut pas dire. Ou comment le XIXe siècle s’est fait le conducteur d’une pensée qui, découvrant l’imaginaire du corps, va amener à la première conscience physique de l’infini.»