Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, nous livre son point de vue sur l’aventure qu’a constitué la création de l’exposition « Sade, attaquer le soleil ».
Représenter l’irreprésentable, montrer l’inmontrable. Le projet sadien est un absolu qui bouleverse à jamais la question des limites du sens et interroge nécessairement l’histoire de la représentation.
Perturbante, et peut-être déplacée au premier abord, l’idée d’accueillir Sade au musée d’Orsay relève pourtant d’une évidence. En convoquant la figure de l’auteur des Cent Vingt Journées de Sodome, le musée ne se livre ni a un exercice biographique, ni a une analyse d’histoire littéraire, mais bien à une lecture inédite de la sensibilité d’un siècle qui l’aura maudit tout en l’ayant passionnément lu.
Or, si la question est aujourd’hui largement entendue pour la littérature, où Baudelaire, Flaubert, Huysmans, Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam jusqu’à Mirbeau et Apollinaire forment le plus évident courant continu de l’influence sadienne, qu’en est-il de la question plastique ?
Dans un temps qui voit peu à peu s’effondrer toutes les hiérarchies et toutes les normes de la représentation, Sade est sans doute l’annonciateur le plus crucial et le plus inavoué de nouvelles images du corps désormais soumises sans faux-semblant à une cruelle et violente loi du désir. Goya, Delacroix, Moreau et Rodin, mais aussi Ingres, Degas, Cézanne et Picasso sont les grands héros de la libération formelle de l’imaginaire sexuel, avant que le surréalisme avec Ernst, Bellmer, Masson et Man Ray ne reconnaisse le désir comme grand inventeur de formes. Sade a donc bien sa place à Orsay, et au-delà de la célébration du bicentenaire de la mort de l’écrivain, un tel projet s’inscrit dans la cohérence d’une ligne de programmation qui entend explorer certaines des thématiques négligées, pour ne pas dire refoulées, de l’histoire de la modernité.
Ainsi, après Crime et châtiment et L’Ange du bizarre et avant Splendeurs et misères, Attaquer le soleil éclaire un point aveugle des origines de notre culture visuelle contemporaine.
Confronter Sade au musée est un défi audacieux qui fut d’abord lancé au Louvre sous la présidence d’Henri Loyrette et que j’ai souhaité relever à mon tour dans le cadre d’Orsay, en demandant à Annie Le Brun de continuer à en assurer le commissariat général. On sait combien ce remarquable écrivain livra avec son incontournable Soudain un bloc d’abîme, Sade (1993) une des lectures les plus éclairantes d’une des pensées les plus libres jamais exprimées qui faisait suite aux Châteaux de la subversion (1982), fondateur déjà !
Le texte qu’elle nous donne aujourd’hui à l’occasion de cette exposition en est un magnifique approfondissement. Érudit et stimulant, il est aussi une salutaire leçon d’histoire de l’art, qui sait aller au coeur des oeuvres avec une rare justesse de ton.
Accompagnée dans cette aventure par Laurence des Cars, que je remercie, Annie Le Brun signe ici une exposition d’auteur, qui n’entend pas tout dire de son sujet, mais qui ne compromet jamais une approche exigeante, résolument placée du côté des plus libres créateurs de formes.
La réalisation de cette exposition et de ce livre en moins d’un an fut une expérience intense, et je veux ici exprimer toute ma reconnaissance aux deux commissaires, ainsi qu’à l’ensemble des équipes du musée d’Orsay mobilisées pour ce projet, d’avoir su tenir ce pari fou.
Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie