« Ce manuscrit exceptionnel, volé en 1982, signalé à Interpol, et disputé par deux familles, est enfin de retour en France, au terme d’une histoire rocambolesque. Mais il m’a fallu trois ans d’âpres négociations », avoue son nouveau propriétaire, Gérard Lhéritier, président fondateur d’Aristophil et du Musée des Lettres et Manuscrits, un établissement privé. L’homme d’affaires a « déboursé au total 7 millions d’euros » pour cet original très convoité du marquis de Sade (1740-1814), qui devient l’un des trois manuscrits les plus chers conservés en France. Il est assuré 12 millions d’euros par les Llyods.
Exposé à l’Institut des lettres et manuscrits
Le rouleau autographe de cette oeuvre mythique, catalogue de perversions sexuelles d’une violence inouïe, rédigé à l’insu de ses geôliers par un Sade « embastillé », vient tout juste d’être rapatrié de Genève. Dans un état de conservation parfait, il sera présenté au grand public à l’Institut des lettres et manuscrits à partir de septembre. Gérard Lhéritier l’a acheté à Serge Nordmann, fils du collectionneur suisse Gérard Nordmann.
« Une part des 7 millions d’euros est revenue à la famille Nordmann, détentrice légale du rouleau, selon la justice helvétique, l’autre à Carlo Perrone, héritier de Nathalie de Noailles, propriétaire légitime du manuscrit, selon la justice française », explique-t-il.
Futur Trésor national ?
« Auparavant, la situation était totalement bloquée. J’ai signé un accord avec Carlo Peronne qui a fait une levée auprès des autorités judiciaires. Sans cela, impossible de le rapatrier, il aurait été aussitôt saisi… ».
Maintenant, « je vais le faire classer « Trésor national » afin qu’il reste en France et revienne peut-être un jour à la Bibliothèque nationale de France […] J’avais d’ailleurs proposé de garder le rouleau cinq ans et d’en faire don à la BNF mais le ministère de la Culture n’a pas donné suite », affirme M. Lhéritier.
La BNF interessée
La BNF avait aussi approché le vendeur suisse qui a préféré traiter avec un acheteur privé. « L’important, c’est que le manuscrit revienne en France et que son statut soit clarifié », estime-t-on à la BNF, qui ne désespère pas de l’accueillir plus tard dans ses collections. Et ce retour à Paris des « 120 Journées » n’est que le dernier épisode d’une folle histoire !
Le plus extrême récit de Sade
C’est sans aucun doute le plus extrême des écrits du célèbre marquis de Sade. Qualifiée d’« Evangile du Mal » par l’écrivain Jean Paulhan, « Les Cent Vingt Journées de Sodome » n’épargne rien au lecteur : viols, pédophilie, coprophagie, inceste, tortures, mutilations, meurtres…
Dans son introduction des « 120 Journées », Sade lui-même avertit : « C’est maintenant, ami lecteur, qu’il faut disposer ton coeur et ton esprit au récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le monde existe […] Ce n’est pas ma façon de penser qui a fait mon malheur, mais celle des autres », disait-il.
Des oeuvres longtemps clandestines
Les oeuvres de Sade ont été sorties de la clandestinité par Jean-Jacques Pauvert qui triompha de la censure en 1957 par un procès en appel. Le divin marquis est depuis 1990 entré dans la prestigieuse Pléiade (Gallimard). Au cinéma, Pier Paolo Pasolini a adapté Sade en 1976. Le réalisateur italien sera assassiné quelques mois avant la sortie de « Salò ou les 120 Journées de Sodome ».
L’histoire :
Nous sommes à la fin du règne de Louis XIV. Quatre hommes âgés de 45 à 60 ans, dont la fortune immense « est le produit du meurtre et de la concussion », écrit Sade, le duc de Blangis, l’évêque son frère, le président de Curval et le financier Durcet, s’enferment pour une orgie dans un château de la Forêt-Noire, avec 42 victimes soumises à leur pouvoir absolu : leurs jeunes épouses (chacun a épousé la fille de l’autre), un sérail de jeunes gens arrachés à leurs parents, des servantes, des proxénètes… Sade fait le récit de 600 perversions des maîtres du château. Au fil d’un crescendo d’insoutenables horreurs, trente victimes périront dans d’épouvantables souffrances.
Source : Ouest France du 3 avril 2014