Si le Marquis de Sade m’était conté… Livre I

L’objectif de ce « feuilleton » qui commence ici et qui va se poursuivre le plus longtemps possible est de donner quelques clefs pour mieux connaitre le Marquis de Sade. Il n’est pas question d’aborder en profondeur la pensée de cette irréductible. Il est avant tout proposer de le débarrasser des multiples clichés qui l’enferment; et ceci afin de mieux cerner le personnage et balayer son oeuvre des erreurs et des préjugés des siècles et des marchands de sensationnel.

Le Marquis de Sade est un personnage bien étrange, même sa vie est bien mal connue. Né en 1740, mort en 1814, il a connu des régimes aussi différents que la Monarchie, la Révolution, le Directoire, le Consulat et l’Empire… et même la première Restauration ; et sous tous les régimes, il s’est trouvé en prison !

Cet homme, à l’imagination débordante, s’est vu condamné et mis au banc de la société , pour s’être trop complu à faire le portrait de sa société. De peur de le voir trop écrire, il fût mis au secret.

« Ce petit gentilhomme campagnard a voulu ingénier à croire qu’il lui était permis de nous ressembler ? Quoi! sans hermine et sans mortier, il s’est fourré dans la cervelle qu’il y avait une nature pour lui comme pour nous, comme si la nature pouvait être analysée, violée, bafouée, par d’autres que par les interprètes de ses lois et comme s’il pouvait y avoir d’autres lois que les nôtres ! De la prison, morbleu ! de la prison messieurs ! Il n’y a que cela dans le monde : oui, six ou sept ans d’une chambre bien close à ce petit impudent-là… »

Tel se voyait-il dépeint par ceux qui l’avaient mis là ! La justice et les Lettres de achats devaient le voir toujours s’opposer aux sociétés absurdes et inhumaines. Ceci le poussait irrémédiablement vers l’étude et la découverte d’une société idéale.

Le monde carcéral décuple sa pensée nourrie de l’injustice et de l’incompréhension de sa condamnation. Loin de le faire taire, la prison l’aiguillonne.

« Réduit à un solitude fatale, à une végétation dangereuse, à son abandon funeste, ses vices germent, son sang bouillonne, sa tête fermente, l’impossibilité de satisfaire ses désirs en fortifie la cause criminelle et il ne sort de là que plus fourbe et plus dangereux ».

Sa haine pour la prison et ce qu’il devait endurer ont sans aucun doute façonné une partie de sa pensée politique dans sa recherche de la cité idéale, de la société presque parfaite, de l’utopie. Il aimait rappeler en tête de ses cahiers personnels, les paroles de Marie-Antoinette à la Conciergerie :

« Les bêtes féroces qui m’environnent inventent chaque jour quelque humiliation qui ajoute à l’horreur de ma destinée ; elles distillent goutte à goutte dans mon coeur le poison de l’adversité, comptent mes soupirs avec délice et avant que de s’engraisser de mon sang elles s’abreuvent de mes larmes. »

Du fond de sa prison, il crée sa soif de Liberté mais aussi sa volonté de décrire les dérives de ses contemporains. Il ne croit pas au fait que « l’homme nait bon ». Pour Sade, l’homme débarrassé de la religion, de la morale, de l’éducation et de la culture retrouve sa bestialité. Il se refuse à cacher,derrière la poudre,les perruques et les dentelles,la réalité de ce monde…

« Je le répète, jamais je ne peindrai le crime que sous les couleurs de l’enfer, je veux qu’on le voie à nu, qu’on le craigne, qu’on le déteste, et je ne connais point d’autre façon pour en arriver là que le montrer avec toute l’horreur qui le caractérise. Malheur à tous ceux qui l’entourent de roses ! ».

« Malheur à l’écrivain bas et plat qui, ne cherchant qu’à flatter les opinions à la mode renonce à l’énergie qu’il à reçu de la nature pour ne nous offrir que l’encens qu’il brûle complaisamment aux pieds du parti qui domine. »

Voici donc ce personnage dont la pensée est trop souvent détournée, vivant d’excès et de contradictions, de passions et de virulences, de recherches et d’imagination, de raison et de logique. Avant de tenter d’entre apercevoir cette pensée ,laissons le conclure pour mieux le comprendre.

« J’expose les idées qui depuis l’âge de raison se sont identifiées avec moi et au jet desquelles l’infâme despotisme des tyrans s’était opposé tant de siècles. Tant pis pour ceux que ces grandes idées corrompraient, tant pis pour ceux qui ne savent saisir que le mal dans des opinions philosophiques, susceptibles de se corrompre à tout ! Qui sait s’ils ne se gangrèneraient peut-être pas aux lectures de Sénèque et de Charron ? Ce n’est point à eux que je parle : je m’adresse qu’à des gens capables de m’entendre et ceux-là me liront sans danger. »

 

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