Les 8 et 9 novembre prochains, la seconde partie de la Bibliothèque de Pierre Bergé sera dispersée aux enchères. Certaines pièces du Marquis de Sade seront présentées… l’occasion de présenter ici deux oeuvres emblématiques de Sade.
Histoire secrète d’Isabelle de Bavière reine de France. Dans laquelle se trouvent des faits rares inconnus, ou restes dans l’oubli jusqu’a ce jour, et soigneusement etayés de manuscrits authentiques allemands, anglais et latins. Paris, 1813.
L’écriture est très large, chaque page ne comportant généralement que onze lignes de texte, sauf les notes en pied, bien plus petites. Le manuscrit présente de nombreuses ratures et corrections, ainsi que des ajouts sur des feuillets repliés. Un plan manuscrit, aquarellé, donnant la situation de l’Hôtel de Barbette, est replié et inséré dans le tome II. Chaque volume s’ouvre par une page de titre manuscrite imitant les titres imprimés de l’époque.
“Il résulte des inscriptions qui figurent à la fin de chaque tome que la mise au net d’Isabelle de Bavière a été commencée le 19 mai 1813 et terminée le 24 septembre, et que les dernières corrections y ont été apportées le 20 novembre. Mais une note supplémentaire témoigne que l’auteur a voulu revoir encore une fois son ouvrage le 29 octobre 1814, c’est-à-dire trente-quatre jours avant sa mort” (Gilbert Lely).
Sade tenta vainement de faire accepter son ouvrage : l’Histoire secrète d’Isabelle de Bavière ne sera publiée qu’en 1953 par les soins de Gilbert Lely.
Bien que dépourvue de passages scandaleux, l’Histoire d’Isabelle Bavière n’en est pas moins une œuvre typiquement sadienne, son héroïne incarnant à la perfection les théories de l’auteur de Justine : le couple Jeanne d’Arc-Isabelle de Bavière illustre en effet le principe de la vertu malheureuse et du vice récompensé. En effet, l’Isabelle de Sade se prostitue à Craon pour faire assassiner le connétable de Clisson, elle facilite l’assassinat de Louis d’Orléans, de sa femme et de ses enfants, elle s’enivre du spectacle des exploits des écorcheurs ; travestie en fille publique, elle s’accouple dans les bouges aux voleurs et aux meurtriers, elle empoisonne trois de ses enfants, exhorte Jean sans Peur à frapper le dauphin Charles… “Enfin Isabelle fait livrer Jeanne d’Arc au Saint-Office et inspire au duc de Bedford l’examen des parties secrètes de la Pucelle. Que de traits, chez la Bavaroise, telle que Sade la conçoit, s’inscrivent dans la fascinante horreur du personnage de Juliette !” (Gilbert Lely).
Pour rédiger l’histoire de cette “reine criminelle”, Sade peint, durant la guerre de Cent Ans, “une France étrangement proche de celle de la Révolution” (Michel Delon). Il déclare avoir utilisé des manuscrits des Chartreux de Dijon détruits durant la Révolution – essentiellement la retranscription de l’interrogatoire de Louis de Bourdon, amant de la reine, qui avait tenté de se sauver en divulguant les complots d’Isabelle.
“Par la vive conduite et la diaprure de son récit, par la hardiesse de ses inventions et leur subtil ajustement à des faits qu’on ne peut nier, par la profondeur de ses réflexions touchant à la psychologie tant individuelle que collective, par les teintes noires et inquiétantes dont il a cerné avec art le personnage de la reine, l’auteur d’Isabelle de Bavière mérite d’être rangé au nombre des meilleurs tenants de ce genre ambigu qui, très éloigné du roman, en emprunte quelques aspects et, de la veine de Clio, n’est pas tout à fait l’histoire” (Gilbert Lely).
Les Crimes de l’amour, nouvelles héroïques et tragiques. En guise d’Avertissement, le marquis de Sade livre, en une cinquantaine de pages, son Idée sur les romans. Sans doute pour échapper aux dénonciations dont il était l’objet, il fait l’apologie du roman sensible et moral et s’en tire par une pirouette à l’adresse des détracteurs d’Aline et Valcour :
“Je réponds que j’ai rendu ceux de mes héros qui suivent la carrière du vice tellement effroyables, qu’ils n’inspirent bien souvent ni pitié, ni amour, et en cela je suis plus moral que ceux qui se croient permis de les embellir.”
Il exprime son admiration pour Mme de La Fayette, Rousseau et l’abbé Prévost ; en revanche, Restif de La Bretonne est exécuté sans ménagement, du fait de son “style bas, des aventures dégoûtantes […] dont seuls les marchands de poivre le remercieront.” L’essai s’achève par un éloge de la nature d’une force surprenante – une nature “plus bizarre que les moralistes ne nous la peignent”, intégrant aussi bien les forces de destruction que les perversions.
Ce sont des fictions héroïques et tragiques, inspirées par les romans noirs contemporains, selon une morale à rebours… “Il n’y a ni conte ni roman dans toute la littérature de l’Europe où les dangers du libertinage soient exposés avec plus de force”, avoue l’auteur à propos d’Eugénie de Franval : prête à tous les jeux érotiques, l’héroïne se découvre amante de son frère, meurtrière de son ls, dénonciatrice de sa mère et épouse de son père.
Les autres nouvelles sont : Juliette et Raunai, ou la conspiration d’Amboise ; La Double épreuve ; Miss Henriette Stralson, ou les effets du désespoir ; Faxelange, ou les torts de l’ambition ; Florville et Courval, ou le fatalisme ; Rodrigue, ou la tour enchantée ; Laurence et Antonio ; Ernestine ; Dorgeville, ou le criminel par vertu ; La Comtesse de Sancerre, ou la rivale de sa fille.
Aline et Valcour – Marquis de Sade – Paris, Chez la Veuve Girouard, 1795
la Bibliothèque de Pierre Bergé
Mardi 8 novembre
et mercredi 9 novembre 2016 à 14 heures
Drouot Richelieu salles 5 & 6 9 rue Drouot, 75009 Paris
Exposition publique
les 4, 5, 6 et 7 novembre de 11 heures à 18 heures