Après l’excellent ouvrage Les châteaux de Sade, Jean-Claude Hauc nous livre aujourd’hui Sade amoureux. Il a accepté de répondre à quelques questions et de nous parler de ses futurs projets… Mais avant tout cela, synopsis :
Il y a trois ans, vous avez écrit déjà sur le marquis de Sade, Les châteaux de Sade. Qu’est-ce qui vous a amené, après Casanova, à vous intéresser à Sade?
Les dates de publication d’une biographie ne correspondent que rarement au moment de lecture ou d’intérêt pour tel ou tel auteur. J’ai commencé à me passionner pour Casanova il y a une vingtaine d’années, lors de la rédaction de mon essai L’appétit de Don Juan (Cadex éditions, 1994). J’ai participé ensuite à l’aventure de la revue L’intermédiaire des casanovistes, identifié une maîtresse du fougueux Vénitien, rédigé des ouvrages, des articles, prononcé des conférences, etc. Par contre, je lis Sade depuis mes années d’université, sans jamais me lasser ou me détourner de lui, le considérant comme l’un des plus importants écrivains du XVIIIe siècle. Pourtant, peut-être par timidité ou modestie vis-à-vis des grands auteurs (d’Apollinaire à Sollers, en passant par Bataille, Klossowski, Blanchot, Foucault et tant d’autres) ayant étudié, commenté ou célébré le sulfureux marquis, je n’avais jamais osé m’attaquer moi-même à l’animal. Comme je travaille depuis des années sur les aventuriers et les libertins du siècle des Lumières, c’est donc plutôt par le biais de l’histoire que je me suis approché de Sade. Les châteaux de Sade (Les Éditions de Paris, 2012) est une biographie largement illustrée, mettant l’accent sur le rapport de Sade à la Provence, évoquant ses demeures familiales et les années de pleine liberté précédant le «grand enfermement». Je tenais également à insister sur le côté absolument humain de cet individu qui s’est trouvé très rapidement prisonnier d’un mythe ou d’une légende noire, au point que pendant deux siècles on a confondu sa personne avec certains personnages de ses romans.
Votre livre sur Sade et le comte de Charolais est une excellente idée car des deux personnages, le plus pervers est le moins connu, et le plus connu le plus mal compris! Quel cheminement vous a amené à cette rencontre, sachant que Sade a toujours présenté Charolais comme le pire des exemples?
Pour ce livre également, le temps de l’écriture s’est joué quelque peu de celui de la publication. À l’origine, Un grand seigneur méchant homme, le comte de Charolais était destiné à être édité à part. Beaucoup d’historiens de l’Ancien Régime mentionnent volontiers dans leurs ouvrages l’une ou l’autre des horreurs ou exactions commises par l’arrière-petit-fils du Grand Condé, mais sans que jamais aucun d’entre eux ne se soit décidé à rédiger une biographie digne de ce nom. C’est donc à cela que je me suis attelé, en examinant Mémoires et Journaux de contemporains, ainsi que diverses archives. Prince du sang, Charolais était intouchable, même si ses crimes défrayaient la chronique de son temps et, comme l’écrit Maurice Lever, s’il «incarnait, avec une rare perfection, le concept auquel [Sade] donnera son nom». D’ailleurs, le marquis était apparenté de loin au comte par sa mère et avait côtoyé celui-ci durant ses cinq premières années passées à l’hôtel de Condé. Mais il ne l’appréciait pas pour autant, puisque dans La philosophie dans le boudoir il compare Charolais à Gilles de Rais. Et c’est cette confusion entre les deux personnages qui m’a particulièrement intéressée. À l’époque, les agissements de Charolais et de ses pairs (Fronsac, d’Olonne, Sabran…) exaspéraient l’opinion publique à cause de l’impunité que leur assurait leur état de grand seigneur ou leurs relations à la cour. Si bien que lorsque Sade a maladroitement commencé à s’empêtrer dans ses diverses «affaires», ne bénéficiant pour sa part d’aucune protection en haut lieu, il est rapidement devenu le bouc émissaire rêvé pour les gazettes françaises et étrangères. Sans chercher le moins du monde à excuser sa conduite, il est certain, comme le fait remarquer Michel Delon, que les débauches de Sade ne dépassaient guère le libertinage aristocratique de son temps et se cantonnaient bien en deçà des débordements sadiques de Charolais. Plus tard, la parution de ses oeuvres a encore contribué à faire de lui ce monstre sanguinaire que la fin de l’Ancien Régime, puis la société bourgeoise du siècle suivant se sont appliqués à promouvoir. Aucune différence alors entre l’écrivain embastillé et Saint-Fond ou Noirceuil, les libertins scélérats de L’Histoire de Juliette. Ce qui est par ailleurs extraordinaire, c’est que de nos jours, quelqu’un comme Michel Onfray, s’acharnant à mesurer les moeurs et les comportements du XVIIIe siècle à l’aune du nôtre et tordant sans vergogne les faits à son avantage, puisse enfiler les mêmes sottises et user d’arguments aussi ridicules que ceux des gazetiers de l’époque. Publier à la suite, Le comte de Charolais et Sade amoureux permettait donc de remettre les pendules à l’heure. Le premier a pratiqué le sadisme, l’autre l’a théorisé. Charolais est un criminel pervers, Sade un grand écrivain qui nous éclaire sur la part maudite que tout homme recèle en lui-même. Ce dernier n’est en rien prisonnier de l’instinct de mort et, comme je me suis efforcé de le montrer, capable d’empathie, et même d’amour.
Votre passion va-t-elle vous amener à écrire un troisième livre sur Sade?
Le troisième livre sur Sade est déjà écrit et publié. Il s’agit d’un roman intitulé La postérité de Sade, paru en 2012 chez Édilivre, construit autour de la disparition du crâne de Sade après l’exhumation de son corps dans le cimetière de Charenton, très différent de l’ouvrage de Jacques Chessex. En ce moment, je suis retourné vers Casanova qui continue à m’inspirer. Mais nous verrons bien de quoi sera fait l’avenir…
Les excellents ouvrages de Jean-Claude Hauc sur le Marquis de Sade et à découvrir de toute urgence :
Sade amoureux précédé de Un grand seigneur méchant homme, le comte de Charolais, Les Éditions de Paris, 2015
Les châteaux de Sade, Les Éditions de Paris, 2012
La postérité de Sade, roman, Édilivre, 2012